Pour l'accès à
Internet en prison

Alors qu’Internet est aujourd’hui omniprésent et incontournable dans nos vies, il reste interdit en prison.
Pour lutter contre la fracture entre le monde carcéral et l’extérieur, nous, acteurs du monde prison-justice, demandons l’accès à Internet entre les murs.

Ce que nous défendons

Alors qu’Internet est aujourd’hui omniprésent et incontournable, il reste interdit en prison. La fracture numérique est dès lors toujours entière pour les 75 677 personnes qui y sont détenues au 1er décembre 2023.

L'accès à Internet en prison est pourtant primordial à la reconnaissance des personnes détenues comme sujets de droits, à la limitation du phénomène d’exclusion sociale causé par l'incarcération, et à la facilitation de leur retour à la vie libre. Il permettrait notamment de :

  • garantir le droit à l'information et favoriser l'autonomie dans la réalisation de démarches administratives et de (ré)insertion,
  • assurer l’accès aux droits et l’exercice des droits de la défense,
  • développer et diversifier l’offre d’enseignement et de formation et améliorer les conditions d’apprentissage,
  • développer l'offre de travail et de formation professionnelle de manière quantitative et qualitative et rendre les conditions d’exercice de l’activité professionnelle plus proches de celles du dehors,
  • faciliter le maintien des liens avec la famille et les proches,
  • limiter les phénomènes de dépendance et d'exclusion liés à une situation de handicap, d'illettrisme ou à la non-maîtrise du français,
  • favoriser l'accès à des contenus ludiques et de loisirs diversifiés et pour une grande partie gratuits,
  • ne pas « décrocher » des modes de fonctionnements de la société libre.

Les avancées que cela permettrait en termes de droits fondamentaux nous conduisent à défendre l'autorisation de l’accès à Internet en prison. Un tel accès doit être envisagé en préservant tant la posture active de l’internaute dans le choix des contenus consultés que l’aspect interactif d’Internet, deux principes au fondement même de son fonctionnement. L’accès pourrait être limité par des interdictions ponctuelles, cependant nécessairement motivées et susceptibles de recours.

Internet en prison :
où en est-on ?

Aucune loi n’encadre l’accès à Internet en prison. Mais un principe d’interdiction a été posé par la voie administrative en 2004, par une note intitulée « Interdiction faite aux détenus d’accéder à internet et à tout [système d’information] extérieur ». Il a été renouvelé en 2009 par la circulaire de la direction de l’administration pénitentiaire relative à l’accès à l’informatique pour les personnes placées sous main de justice.

Envoyer ou recevoir des mails, suivre une formation à distance, programmer un virement, suspendre un abonnement, déclarer sa situation auprès de Pôle emploi ou de la Caf, renouveler sa pièce d’identité… Autant de démarches que ne peuvent réaliser elles-mêmes les personnes lorsqu’elles sont incarcérées – sauf à le faire clandestinement par le biais d’un téléphone portable en s’exposant à des sanctions disciplinaires et pénales.

Si l’administration pénitentiaire teste depuis fin 2021 dans trois prisons ce qu’elle appelle le « Numérique en détention » (Ned), il s’agit uniquement de « dématérialiser certains processus de gestion internes ». Aucunement de « s’évader en navigant sur Internet », mais de rester dans un espace cloisonné, sécurisé, interne au ministère de la Justice »…

Pendant que de nombreux pays font entrer Internet entre les murs (Allemagne, Finlande, Lituanie, Malaisie, Suisse...), la question demeure absente du débat public en France, tout comme la volonté politique de prendre ce chemin.

Ils demandent l'accès
à Internet

  • Dans sa Règle pénitentiaire européenne (RPE) n°24 et son commentaire, le Conseil de l'Europe rappelle que « les autorités pénitentiaires doivent être conscientes des nouvelles possibilités de communiquer par voie électronique qu’offre la technologie moderne. À mesure que ces possibilités se développent apparaissent aussi des moyens de les contrôler, si bien que les nouveaux modes de communication électroniques peuvent être utilisés selon des modalités qui ne menacent ni la sûreté, ni la sécurité ». De manière plus générale, le Conseil de l’Europe recommande, dans sa RPE n°5, que la vie en prison soit « alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison ».

  • Le CGLPL affirme que « des dispositions doivent être prises à bref délai pour que chaque établissement assure depuis [les locaux partagés] le lien avec les services en ligne (“Internet”) et recommande que « l’accès aux services de messagerie électronique » soit assuré (avis relatif à l’accès à l’informatique des personnes détenues, 2011). Puis, étoffant ces premières recommandations, le CGLPL réclame que soit aménagé « un accès réel, direct, individualisé et contrôlé aux services en ligne en cellule », « que chaque personne détenue puisse disposer d’un accès à des sites d’information de toute nature », à « un système de messagerie », « ainsi qu’à un système de vidéocommunications » (avis relatif à l’accès à Internet dans les lieux de privation de liberté, 2019).

    Le DDD recommande de « permettre à l’ensemble des personnes privées de leur liberté, en particulier dans les établissements pénitentiaires, de disposer d’un accès effectif aux sites internet des services publics, des organismes sociaux et aux sites de formation en ligne reconnus par le ministère de l’Éducation nationale » (rapport consacré à la dématérialisation et aux inégalités d’accès aux services publics, 2019). Il appelle également à « ce qu’une partie des contenus existant sur Internet puisse être accessible librement au sein des établissements pénitentiaires : sites internet des services publics, des organismes sociaux et sites de formation en ligne reconnus par le ministère de l’Éducation nationale », et recommande la création d’un coffre-fort numérique « afin de permettre aux personnes placées sous-main de justice de conserver l’ensemble des documents administratifs et partant, d’éviter une rupture des droits entre la période de détention et la période de liberté » (avis du 30 septembre 2021).

    Le Cese préconise la « mise en œuvre de solutions techniques permettant [aux personnes détenues] de disposer d’une adresse internet et d’accéder aux sites internet nécessaires à leurs démarches d’insertion » (avis sur la réinsertion des personnes détenues, 2019).

    La CNCDH rappelle qu’« un accès encadré à Internet permettrait de favoriser, non seulement le maintien de la vie privée et familiale, mais aussi l’accès à l’information, à la culture et aux démarches administratives dématérialisées. Il permettrait plus généralement d’inclure les personnes détenues dans une société connectée », et recommande qu’un tel accès soit mis en place afin de garantir le droit à la réinsertion des prisonniers (avis sur l'effectivité des droits fondamentaux en prison, 2022).

  • Fédération d’associations intervenant en détention, la Farapej plaide, avec le Clip et le Courrier de Bovet, pour « le développement d’Internet et des outils numériques en prison » afin, entre autres, de « permettre une meilleure information quant aux droits », « faciliter le maintien du lien familial », « limiter les phénomènes de dépendance et d’exclusion liés à l’illettrisme ou à la non-connaissance du français », « redonner de l’autonomie aux personnes en matière de démarches administratives », ou encore « se réhabituer aux modes de fonctionnement dans la société libre » (lire la contribution de 2015).

    Think tank « techno-libéral » proche d’Emmanuel Macron, l'Institut Montaigne affirme qu’« il est urgent de dépasser cet immobilisme afin de mettre le numérique au service de la réinsertion et de la montée en gamme du travail pénitentiaire » (Travail en prison : préparer (vraiment) l’après, 2018).

    Parmi 25 recommandations pour lutter contre le cercle vicieux prison-pauvreté, ces associations recommandent la « garantie d’un accès au numérique encadré en détention » (« Au dernier barreau de l’échelle sociale : la prison », 2021).

Témoignages

« Les partiels tombaient deux mois plus tard »
« Je n'avais aucun moyen de me connecter à la plateforme en ligne qui permet de récupérer les cours, et la prof comme le responsable local d'enseignement refusaient de me les imprimer, alors que les partiels tombaient deux mois plus tard. » Élise, détenue au centre de détention de Roanne
« On peut le faire pour un élève mais pas pour dix »
« Il faut toutes les semaines aller voir sur la plateforme s'il y a des messages pour l'étudiant, ouvrir les sous-dossiers, imprimer tous les cours. On peut le faire pour un élève mais pas pour dix. » Un responsable local d'enseignement d'une prison
« Impossible de faire des recherches »
« Lorsque des facultés proposent des cours à distance, cela inclut souvent des vidéos en ligne. Impossible de les regarder ou de faire des recherches... » Une personne détenue en France
« Éviter une situation qui vire vite au cauchemar »
« Nous avons dû faire de très nombreuses démarches administratives au nom de notre fils pour éviter une situation qui vire vite au cauchemar : résilier son bail, contacter son chirurgien-dentiste pour annuler une opération, contacter la CAF pour éviter le versement de l'APL indue, contacter le conseil départemental pour suspendre le versement du RSA, poursuivre le versement de son crédit, suspendre son adhésion à la salle de gym suspendre ses cours à l'auto-école... » Les parents d'un homme détenu à Béziers
« Là, il peut parfois s'écouler jusqu'à un mois »
« On aurait accès à notre compte CAF pro quand on est en face de la personne détenue, on lui poserait la question et ça serait réglé. Alors que là, il peut parfois s'écouler jusqu'à un mois avant que la démarche ne soit finalisée. » Une intervenante en point d'accès aux droits
« On les rend totalement dépendantes »
« On rend totalement dépendantes les personnes détenues, en leur demandant dans le même temps une plus grande implication dans leurs démarches d'insertion. » Une CPIP (conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation)
« Sans emploi, il ne pourra pas sortir »
« La sortie de mon fils incarcéré depuis 18 ans commence à se profiler. Sans Internet, il ne peut pas avoir accès aux organismes susceptibles de lui proposer des offres d'emplois. Sans emploi, il ne pourra pas sortir. » Une mère d'une personne détenue
« Un frein pour l'apprentissage et l'autonomie »
« L'absence d'Internet en prison, c'est forcément un frein pour l'apprentissage et l'autonomie. Même si on adapte des outils pour qu'ils fonctionnent hors ligne, qu'on apporte de la documentation etc., il y a un ensemble d'aspects techniques qui ne sont pas abordables. Dans le métier, il faut aussi faire de la veille technologique. Sans Internet, c'est impossible, ça crée un décalage. » Brieuc, directeur de l'association CodePhenix et formateur aux métiers du web en prison
« Sans Internet, je n'ai plus aucun contact, plus rien »
« J'ai pu voir les autres détenus téléphoner souvent. Moi, je ne peux pas. Je n'ai plus aucune nouvelle de mes proches. Une angoisse permanente de ne pas pouvoir les joindre, avoir de leurs nouvelles, savoir comment ils vont. Sans Internet, je n'ai plus aucun contact, plus rien. » Une personne sourde détenue à la prison de Seysses (personne sourde de communication exclusive langue des signes)
« Une situation d'isolement et de solitude »
« Sans Internet, les personnes sourdes détenues sont privées de leurs droits fondamentaux et confrontées à une situation d'isolement et de solitude. Aucune communication avec l'extérieur n'est possible. Elles doivent avoir accès à des moyens de communication à distance avec leurs proches, leurs amis, leurs avocats. » Militante de la Ligue des droits de l'Homme, intervenante en détention
Les personnes sourdes dénuées de moyens d'expression
« Les personnes détenues sourdes ne peuvent pas contacter leur famille ou leur avocat, notamment en cas de besoin urgent. L'absence d'accès Internet entrave leur droit à communiquer avec ces personnes hors des parloirs, lesquels nécessitent une anticipation et ne peuvent pas toujours s'organiser. » Avocate d'une personne détenue sourde
« Ils pourraient dialoguer avec leur famille »
« Les gens sont assez stressés, énervés. Ils auraient un point d'internet où ils pourraient dialoguer avec leur famille... Ça, je pense que ça serait une bonne idée [...], qu'il y aurait beaucoup moins de tensions. » E., homme anciennement détenu, en placement à l'extérieur dans une structure associative
« L'interdiction d'accès à Internet peut pénaliser les détenus »
« Visiteuse de prison depuis 8 ans, j'ai pu observer à quel point l'interdiction d'accès à Internet peut pénaliser les détenus dans leurs relations familiales et sociales. » N., visiteuse de prison à la maison d'arrêt de Nanterre depuis 8 ans
« La peur de savoir que votre fils peut aller à l'isolement »
« Garder son téléphone en prison avec une connexion Internet est indispensable. [...] La peur toujours présente de savoir que votre fils peut aller à l'isolement (c'est arrivé) pour avoir caché un misérable téléphone qui lui permet de rester en contact avec nous et avec ses amies, et de rester accroché au réel d'un quotidien. Cela peut paraître sans importance, mais c'est oh combien salutaire. » R.-M., mère d'un homme détenu à Béziers
« Je souffre d’illectronisme »
« On ressent une fracture numérique par rapport à l’extérieur. Tout est dématérialisé maintenant : commerce, virement, mandat, transport… Je suis analphabète numérique, je souffre d’illectronisme. » B., détenu dans un centre pénitentiaire
« L’absence d’Internet le contraint à déléguer son avenir »
« L’absence d’Internet le contraint à ne pas prendre les choses en main lui-même et à être obligé de déléguer son avenir à quelqu’un d’autre, ce qui va le fragiliser encore plus. Son autonomie à l’extérieur est déjà bien impactée après autant d’années d’enfermement. » M., mère d’un homme détenu
« Nous voyons les changements sans comprendre »
« Sans Internet, on ne peut pas se connecter au monde extérieur, et on dépend complètement du discours de la télévision. Le monde évolue, parfois très vite. Et nous, nous voyons les changements sans comprendre, comment, pourquoi… » B., détenu en maison centrale
« Je pourrais jouer avec ma famille en ligne »
« F., mon co-détenu, combien de fois il m’a dit « je pourrais jouer avec ma famille en ligne et tout »… C’est sûr que ça serait bien ! Mais quand on reçoit la Xbox, ils enlèvent la carte qui donne accès à Internet. Ça ne leur coûterait rien de la laisser. Il suffirait qu’ils la bloquent à certains moments pour ne pas aller sur tous les sites Internet » E., ancienne personne détenue
« Les détenus étrangers sont particulièrement pénalisés »
« Sans Internet, toute démarche pour faire valoir ses droits est difficile. Maintenant, avec la dématérialisation des services administratifs, c’est encore pire ! Les détenus étrangers sont particulièrement pénalisés : dans ces conditions, comment sérieusement demander ou renouveler un titre de séjour, constituer un dossier, réunir des pièces depuis l’extérieur ou encore contacter un.e avocat.e pour contester une mesure d’expulsion dans un délai de 48h ? » J., ancien coordinateur d’un dispositif d’accès aux droits
« Sans Internet, récupérer ses dossiers médicaux est difficile »
« Depuis le 1er février 2022, on peut créer un dossier médical partagé associé à son numéro de sécurité sociale. Je voulais récupérer mes dossiers médicaux dans les différentes prisons par lesquelles je suis passée, pour que tout soit centralisé, mais c’est compliqué car ça se fait par Internet. » H., détenue en centre de détention
« Investissons dans l'avenir des personnes détenues, donnons-leur accès à la formation e-learning »
« Sans Internet en prison, notre contribution est extrêmement limitée. A Saint-Martin-de-Ré, 15 détenus ont passé la certification professionnelle Voltaire fin janvier 2023, qui atteste une bonne maîtrise du français auprès des employeurs, dans une démarche de réinsertion. Ils se sont entraînés pendant plusieurs semaines avec des ouvrages papier et le soutien de l'unité locale d'enseignement (ULE). Mais ils ont été privés des bienfaits d'un parcours e-learning personnalisé et plus efficace car auto-adaptatif... Leurs progrès et leurs scores à la certification s'en trouvent limités. Pourtant, l'acquisition ou le renforcement de leurs compétences est un enjeu décisif pour leur réinsertion et la lutte contre la récidive. En 3 ans, de très nombreuses formations professionnelles certifiantes se sont numérisées. Les possibilités n'ont jamais été aussi vastes et les personnes placées sous main de justice (PPSMJ) qui en ont le plus besoin en sont privées. Réparons d'urgence cette injustice, investissons dans l'avenir des personnes détenues, donnons-leur accès à la formation e-learning pour un temps de détention utile à la société et à eux-mêmes. » Charles-Henry de La Londe, président de la Fondation Voltaire
« Tout cela est impossible sans accès à Internet »
« En prison, avoir accès aux employeurs, répondre à une offre d’emploi, chercher un logement, garder des liens avec la famille, échanger avec son avocat, avoir accès aux films, à la culture, faire des recherches, etc., tout cela est impossible sans accès à Internet. Ou bien cela prend un temps qui n’est plus le nôtre aujourd’hui... » Patrick, ancien détenu
Sans Internet, il n'a jamais pu utiliser l'imprimante
« On a permis à mon ami d'acheter un ordinateur et une imprimante. Il les a reçus 11 mois après et il n'a jamais pu utiliser l'imprimante : [sans Internet] il ne peut pas mettre à jour les pilotes. Elle ne lui sert donc à rien. Il ne peut pas imprimer ses cours et ne peut pas suivre sa formation. » V., proche d’une personne détenue
« Faire des études sans Internet, c'est impossible ! »
« Faire des études sans Internet quand on ne peut pas se rendre en cours, c'est impossible ! Pour faire passer les cours photocopiés, c'est la croix et la bannière : trop épais donc interdits. Il faut alors envoyer des courriers de 20 pages par la poste. Il y avait plus de 1 000 photocopies ! L'énergie pour trouver les cours, les imprimer, les préparer et les envoyer... Sans compter le coût des photocopies et des envois. Pour un résultat plus que mitigé : toutes les enveloppes ne lui ont pas été remises, il lui manquait donc des parties de cours. Une partie des examens devait se faire en visio, il n’a donc pas pu les valider. Il aurait suffi d'une salle de classe avec des ordis connectés à Internet, et qu'il y ait eu accès à certaines heures. » Tania, mère d’un jeune détenu
Sans Internet, des mineurs privés d'inscription sur Parcoursup
« Je suivais un mineur détenu entre février et mars. Il était très motivé par sa scolarité à l'extérieur et très attaché au fait d'avoir son bac et de poursuivre ses études. Il a cherché toutes les manières possibles pour faire ses vœux sur la plateforme Parcoursup depuis la détention. Mais personne n'a pu se connecter à sa place depuis l'extérieur, ce qui a mis à mal tout son projet. Et il n'est certainement pas le seul mineur dans ce cas, malheureusement... » A., membre de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ)
« Il est temps de faire entrer le 21e siècle en prison »
« J’ai rencontré de grandes difficultés pour apporter à mes étudiants les éléments permettant d’acquérir une bonne culture et l’accès aux connaissances nécessaires. Les documents papiers reçus des organismes de formation ne suffisaient pas. Un accès, même limité et contrôlé, à Internet nous aurait permis de mieux travailler et de progresser. D’autres pays accordent cet accès. Pourquoi la France est-elle, aussi sur ce point, autant en retard ? Il est temps d’entrer dans le 21ème siècle, même en prison ! » Vincent, professeur bénévole en centre pénitentiaire pendant dix ans
« Sans cette aide à l'extérieur, ma situation serait au point mort »
« J’ai la chance d’avoir une copine qui fait énormément pour moi : échanges avec pôle emploi, banque, mission locale, avocat, CAF. Sans cette aide de l’extérieur, ma situation serait au point mort. » A. détenu en maison d'arrêt
« Je regrette toujours d’avoir à faire ce travail si formateur à la place de quelqu’un d’autre »
« Comment faire des études supérieures aujourd’hui sans accès à Internet ?? Que d’heures passées chez moi pour chercher puis imprimer des articles scientifiques, ou faire des recherches bibliographiques… Je regrette toujours d’avoir à faire ce travail si formateur à la place de quelqu’un d’autre. L’enseignement à distance s’est certes perfectionné techniquement mais, sans accès à Internet, cet enseignement ne peut être interactif et donc perd en efficacité. Avoir un accès sécurisé à Internet en prison est pourtant possible, non ?! Nous sommes au 21ème siècle et ces étudiants-là sont pénalisés et guère préparés à leur sortie... » Anne, professeure d’université à la retraite, intervenante bénévole en centre pénitentiaire depuis 14 ans.
« L’absence d’Internet en prison, c’est donc la garantie pour les personnes détenues de se retrouver avec des dettes. »
« Sans accès à Internet, il est quasiment impossible pour les personnes détenues de résilier ou suspendre leurs contrats car les démarches se font aujourd’hui principalement sur des espaces clients en ligne. Alors les impayés s’accumulent : loyers, abonnements, assurances, remboursements de crédits... L’absence d’Internet en prison, c’est donc la garantie pour les personnes détenues de se retrouver avec des dettes. » Hélène Ducourant, chercheuse, autrice du rapport “Dettes de détenu.e.s. Un état des lieux” publié en 2022.
« La CPIP lui reproche de ne pas avoir cherché »
« Après plus de 22 ans d’incarcération, il doit présenter un projet pour être transféré dans un autre établissement afin d’y préparer sa sortie. La carte des différentes prisons est accessible sur le site du ministère de la Justice, mais l’administration pénitentiaire refuse de la lui donner. Donc je fais toutes les recherches à sa place. Et ensuite, la Cpip lui reproche de ne pas avoir cherché...» V., intervenante en détention
« Un risque majeur de rupture de soins »
« À l’incarcération, la personne détenue doit être inscrite par les services pénitentiaires à l’une des deux caisses spécifiques de la sécurité sociale. Mais c’est loin d’être toujours le cas, surtout en maison d’arrêt. Et si ce n’est pas fait avant la sortie de prison, elle ne sera pas couverte par l’assurance maladie. Concrètement, cela signifie que, si elle va en pharmacie pour un traitement médical, ce dernier ne lui sera pas remboursé, ce qui crée un risque majeur de rupture des soins. Si les personnes détenues avaient accès à Internet en prison, et donc à Ameli, elles pourraient effectuer elles-mêmes les démarches.» P., coordonnateur d’une unité sanitaire en milieu pénitentiaire
« Elles gagneraient en autonomie pour exercer leurs droits et préparer leur sortie »
« Quasiment tous les jours, des personnes détenues appellent l’OIP pour avoir des renseignements très pratico-pratiques qui nécessitent une simple recherche sur Internet. Le plus souvent, c’est pour avoir des informations relatives à leurs droits : comment obtenir l’aide juridictionnelle, trouver les coordonnées d’un avocat, d’un tribunal, d’organismes de défense des droits humains, de l’Ordre des médecins, etc. D’autres demandes concernent la préparation à la sortie de prison qui nécessite aussi de pouvoir faire des recherches sur Internet : les contacts de centres d’hébergement, de services sociaux ou d’associations. Si elles avaient accès à Internet en prison, elles gagneraient en autonomie pour exercer leurs droits et préparer leur sortie. Et moi, j’aurais plus de temps pour les autres personnes détenues qui nous sollicitent. » Mireille, bénévole au standard téléphonique de l’Observatoire international des prisons
« Malgré l'implication très favorable côté université, tout est laborieux »
« Mon fils est en détention «provisoire» depuis plus d’un an et demi, où il poursuit ses études universitaires. Il a obtenu de recevoir au parloir des documents de cours une fois par mois. Mais c’est forcément incomplet car il est censé effectuer des travaux en ligne via l’ENT (espace numérique de travail), faire des recherches sur Internet pour son mémoire, écouter des podcasts, etc. Je tente de faire au mieux pour lui transmettre les articles et éléments dont il a besoin pour tous ses travaux universitaires. Et en plus, je dois faire toutes les démarches pour son dossier étudiant. Malgré l’implication très favorable côté université, tout est laborieux, prend beaucoup de temps et d’énergie, sans compter le coût des impressions papier. » Mère d'une personne détenue
C'est comme si on avait fait le travail pour rien
« Ça prend énormément de temps de trouver des structures extérieures qui sont prêtes à accueillir des personnes qui sortent de prison. Et quand on en trouve une, on se retrouve face à un mur. On demande aux proches de trouver des solutions, d'être acteurs de la détention et, lorsqu'on y parvient, c'est comme si on avait fait le travail pour rien. J'avais un proche en prison pour qui j’avais trouvé des structures qui auraient aimé le rencontrer en visio, mais comme cela est impossible sans Internet, ça a annulé des opportunités de sortie et prolongé la détention. » L., proche d’une personne détenue en centre pénitentiaire
« Le temps perdu est immense »
« L’absence d’Internet en prison mène à de nombreuses situations de "non-recours" aux droits et aux aides financières. Les assistantes sociales, déjà peu nombreuses en détention, n’ont pas non plus accès à Internet lorsqu’elles reçoivent les personnes détenues. Elles ne peuvent donc pas entamer en direct les démarches nécessaires (CAF, pôle emploi, banque, etc). Le temps perdu est immense !”» Hélène Ducourant, chercheuse, autrice du rapport “Dettes de détenu.e.s. Un état des lieux” publié en 2022.
« L'absence d'Internet, un frein pour déposer un recours devant le Tribunal administratif et suivre son avancée »
« Pour faire un recours devant le Tribunal administratif, il faut désormais déposer sa requête sur la plateforme en ligne Télérecours Citoyens, et suivre son avancée dessus. Comme il nous est impossible d’y accéder, nous devons demander l’aide des Cpip (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation) ou de notre famille, alors qu’on passe notre temps à entendre que nous devons "être acteurs de notre réinsertion"… » M. détenu au centre pénitentiaire du Havre
« Avec Internet, "elles pourraient faire elles-mêmes les démarches" »
« Je suis seule pour plus de 550 personnes détenues. Avant moi, il n'y avait personne pendant trois ans. Quand elles sortent de prison, beaucoup de personnes détenues deviennent sans domicile fixe car elles n'ont pas pu faire une demande ou recherche de logement. Certaines seraient tout à fait en capacité de faire leurs démarches et ont un dossier béton pour se réinsérer socialement (logement et emploi) à la sortie. Si l'accès à Internet était autorisé en prison, elles pourraient faire elles-mêmes les démarches. Cela permettrait de prévenir la récidive, l'une des missions principales de l'administration pénitentiaire. » Assistante sociale en centre de détention.
« L'absence d'accès à Internet constitue un frein »
« Dans chacune des lettres que nous échangeons, je mesure à quel point l'absence d'accès à Internet constitue un frein. Ne pas pouvoir se connecter complique le lien avec les proches et nuit fortement à la préparation de la sortie. Mon correspondant suit des études à l'université : il ne peut avoir accès à des ressources en ligne ni échanger par mails avec ses enseignants. Cela entraine une somme de travail démesurée, d'autant plus que ses enseignants ne sont pas informés de ses conditions de détention et ignorent qu'il n'a pas accès à Internet. On ne peut que constater une rupture d'égalité flagrante entre des étudiants lambda et ceux qui effectuent leurs études en détention. » Anna, correspondante d'une personne détenue et membre du Courrier de Bovet
« Beaucoup d’étrangers incarcérés sont très isolés... »
« Pour demander ou renouveler un titre de séjour, il faut désormais créer un compte sur Internet. Comme les personnes détenues n’ont pas le droit, et que les Cpip (conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation) ont rarement le temps de s’en occuper, il faut compter sur ses proches ou sur des associations. Mais beaucoup d’étrangers incarcérés sont très isolés... » Alix Choppin, bénévole à la Cimade et membre du groupe de travail "Numérique en détention" au Courrier de Bovet.