Ce que nous défendons
Alors qu’Internet est aujourd’hui omniprésent et incontournable, il reste interdit en prison. La fracture numérique est dès lors toujours entière pour les 75 677 personnes qui y sont détenues au 1er décembre 2023.
L'accès à Internet en prison est pourtant primordial à la reconnaissance des personnes détenues comme sujets de droits, à la limitation du phénomène d’exclusion sociale causé par l'incarcération, et à la facilitation de leur retour à la vie libre. Il permettrait notamment de :
- garantir le droit à l'information et favoriser l'autonomie dans la réalisation de démarches administratives et de (ré)insertion,
- assurer l’accès aux droits et l’exercice des droits de la défense,
- développer et diversifier l’offre d’enseignement et de formation et améliorer les conditions d’apprentissage,
- développer l'offre de travail et de formation professionnelle de manière quantitative et qualitative et rendre les conditions d’exercice de l’activité professionnelle plus proches de celles du dehors,
- faciliter le maintien des liens avec la famille et les proches,
- limiter les phénomènes de dépendance et d'exclusion liés à une situation de handicap, d'illettrisme ou à la non-maîtrise du français,
- favoriser l'accès à des contenus ludiques et de loisirs diversifiés et pour une grande partie gratuits,
- ne pas « décrocher » des modes de fonctionnements de la société libre.
Les avancées que cela permettrait en termes de droits fondamentaux nous conduisent à défendre l'autorisation de l’accès à Internet en prison. Un tel accès doit être envisagé en préservant tant la posture active de l’internaute dans le choix des contenus consultés que l’aspect interactif d’Internet, deux principes au fondement même de son fonctionnement. L’accès pourrait être limité par des interdictions ponctuelles, cependant nécessairement motivées et susceptibles de recours.
Nos actions
Communiqué | Pour un accès à Internet en prison
Rendez-vous avec le cabinet de la Première ministre
Rendez-vous avec le cabinet du garde des Sceaux
Lettre ouverte à Elisabeth Borne
Internet en prison :
où en est-on ?
Aucune loi n’encadre
l’accès à Internet en prison. Mais un principe d’interdiction a été posé par la
voie administrative en 2004, par une note intitulée « Interdiction faite aux
détenus d’accéder à internet et à tout [système d’information] extérieur ». Il a
été renouvelé en 2009 par la circulaire de la direction de l’administration
pénitentiaire relative à l’accès à l’informatique pour les personnes placées
sous main de justice.
Envoyer ou recevoir des mails, suivre une
formation à distance, programmer un virement, suspendre un abonnement, déclarer
sa situation auprès de Pôle emploi ou de la Caf, renouveler sa pièce d’identité…
Autant de démarches que ne peuvent réaliser elles-mêmes les personnes
lorsqu’elles sont incarcérées – sauf à le faire clandestinement par le biais
d’un téléphone portable en s’exposant à des sanctions disciplinaires et pénales.
Si l’administration pénitentiaire teste depuis fin 2021 dans trois
prisons ce qu’elle appelle le « Numérique en détention » (Ned), il s’agit
uniquement de « dématérialiser certains processus de gestion internes ».
Aucunement de « s’évader en navigant sur Internet », mais de rester dans un
espace cloisonné, sécurisé, interne au ministère de la Justice »…
Pendant que de nombreux pays font
entrer Internet entre les murs
(Allemagne,
Finlande, Lituanie, Malaisie, Suisse...), la
question demeure absente du débat public en France, tout comme la volonté
politique de prendre ce chemin.
Ils demandent l'accès
à Internet
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Recommandations internationales
Le Conseil de l’Europe
Dans sa Règle pénitentiaire européenne (RPE) n°24 et son commentaire, le Conseil de l'Europe rappelle que « les autorités pénitentiaires doivent être conscientes des nouvelles possibilités de communiquer par voie électronique qu’offre la technologie moderne. À mesure que ces possibilités se développent apparaissent aussi des moyens de les contrôler, si bien que les nouveaux modes de communication électroniques peuvent être utilisés selon des modalités qui ne menacent ni la sûreté, ni la sécurité ». De manière plus générale, le Conseil de l’Europe recommande, dans sa RPE n°5, que la vie en prison soit « alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison ».
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Recommandations institutionnelles
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)
Le CGLPL affirme que « des dispositions doivent être prises à bref délai pour que chaque établissement assure depuis [les locaux partagés] le lien avec les services en ligne (“Internet”) et recommande que « l’accès aux services de messagerie électronique » soit assuré (avis relatif à l’accès à l’informatique des personnes détenues, 2011). Puis, étoffant ces premières recommandations, le CGLPL réclame que soit aménagé « un accès réel, direct, individualisé et contrôlé aux services en ligne en cellule », « que chaque personne détenue puisse disposer d’un accès à des sites d’information de toute nature », à « un système de messagerie », « ainsi qu’à un système de vidéocommunications » (avis relatif à l’accès à Internet dans les lieux de privation de liberté, 2019).
Le Défenseur des droits (DDD)
Le DDD recommande de « permettre à l’ensemble des personnes privées de leur liberté, en particulier dans les établissements pénitentiaires, de disposer d’un accès effectif aux sites internet des services publics, des organismes sociaux et aux sites de formation en ligne reconnus par le ministère de l’Éducation nationale » (rapport consacré à la dématérialisation et aux inégalités d’accès aux services publics, 2019). Il appelle également à « ce qu’une partie des contenus existant sur Internet puisse être accessible librement au sein des établissements pénitentiaires : sites internet des services publics, des organismes sociaux et sites de formation en ligne reconnus par le ministère de l’Éducation nationale », et recommande la création d’un coffre-fort numérique « afin de permettre aux personnes placées sous-main de justice de conserver l’ensemble des documents administratifs et partant, d’éviter une rupture des droits entre la période de détention et la période de liberté » (avis du 30 septembre 2021).
Le Conseil économique, social et environnemental (Cese)
Le Cese préconise la « mise en œuvre de solutions techniques permettant [aux personnes détenues] de disposer d’une adresse internet et d’accéder aux sites internet nécessaires à leurs démarches d’insertion » (avis sur la réinsertion des personnes détenues, 2019).
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)
La CNCDH rappelle qu’« un accès encadré à Internet permettrait de favoriser, non seulement le maintien de la vie privée et familiale, mais aussi l’accès à l’information, à la culture et aux démarches administratives dématérialisées. Il permettrait plus généralement d’inclure les personnes détenues dans une société connectée », et recommande qu’un tel accès soit mis en place afin de garantir le droit à la réinsertion des prisonniers (avis sur l'effectivité des droits fondamentaux en prison, 2022).
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Recommandations de la société civile
La Farapej
Fédération d’associations intervenant en détention, la Farapej plaide, avec le Clip et le Courrier de Bovet, pour « le développement d’Internet et des outils numériques en prison » afin, entre autres, de « permettre une meilleure information quant aux droits », « faciliter le maintien du lien familial », « limiter les phénomènes de dépendance et d’exclusion liés à l’illettrisme ou à la non-connaissance du français », « redonner de l’autonomie aux personnes en matière de démarches administratives », ou encore « se réhabituer aux modes de fonctionnement dans la société libre » (lire la contribution de 2015).
L’Institut Montaigne
Think tank « techno-libéral » proche d’Emmanuel Macron, l'Institut Montaigne affirme qu’« il est urgent de dépasser cet immobilisme afin de mettre le numérique au service de la réinsertion et de la montée en gamme du travail pénitentiaire » (Travail en prison : préparer (vraiment) l’après, 2018).
Emmaüs France et le Secours catholique
Parmi 25 recommandations pour lutter contre le cercle vicieux prison-pauvreté, ces associations recommandent la « garantie d’un accès au numérique encadré en détention » (« Au dernier barreau de l’échelle sociale : la prison », 2021).